De la fausse nouvelle au poteau d’exécution

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La lecture de « L’Exécution », livre coup de poing du Dr. Albert Benhaim, ne peut laisser indifférent.[1] L’ouvrage relate le révoltant parcours du combattant qu’ont fait vivre à l’auteur la Régie de l’assurance-maladie du Québec et le Collège des médecins, sans raison valable. Des années de harcèlement moral et institutionnel, une saga qui soulève beaucoup de questions, notamment au chapitre des abus de pouvoir que le système semble permettre. L’affaire a commencé avec un article publié dans La Presse, qui mérite qu’on s’y attarde.

Albert Benhaim raconte son effarement devant l’article du 30 juillet 2010 qui a tout déclenché, et qu’il n’avait manifestement pas vu venir. Celui-ci posait faussement qu’à la clinique Physimed, que Benhaim a fondée avec des associés en 1988, il fallait payer 340 $ pour avoir accès à un médecin.[2]La manchette en était : « Un médecin de famille… pour 340$ ». Les conclusions de la journaliste Anabelle Nicoud étaient basées sur son expérience personnelle chez Physimed, où elle était allée passer un bilan de santé.

En fait, la facture de 340 $ n’avait rien à voir avec l’accès à un médecin. Elle portait plutôt sur les tests de laboratoire, pour lesquels le patient a l’option de se tourner vers le système public, et donc de ne pas débourser un sou. La journaliste avait payé sans discuter la facture et signé un formulaire « dans lequel il est spécifié en caractères gras que l’inscription [à la clinique] et l’accès à un médecin de Physimed sont gratuits » (page 86).

Dans son livre, le Dr. Benhaim n’y va pas par quatre chemins : l’article de La Presse était une « fausse nouvelle ». Le papier a bien évidemment déclenché l’intérêt d’autres médias, qui ont adopté le même angle sans vérifier, et s’en est suivi le tourbillon que vous pouvez imaginer. Ce choc médiatique n’était cependant rien du tout à côté du « raz-de-marée » qui attendait le médecin. Il n’a été, en effet, que le point de départ de l’affaire, qui a pris des proportions scandaleuses.

La Régie de l’assurance-maladie du Québec a immédiatement ouvert une enquête et tenté d’obtenir des documents de nature commerciale que Physimed a refusé de lui remettre, soit, en gros, la facture payée par Physimed pour les analyses de laboratoire de la journaliste, qui comme toutes les autres avaient été effectuées chez un tiers. Autrement dit, la RAMQ voulait connaître les marges bénéficiaires d’une entreprise qui opère de manière parfaitement légitime, et dont les tarifs n’ont rien de spécial et se comparent à ceux qui sont pratiqués ailleurs. Il faudra quatre ans, et l’intervention de la Cour supérieure, pour établir que la « requête » de la RAMQ était illégale. Quant à l’article de La Presse, la Régie a reconnu en 2014 qu’elle ne pouvait « conclure qu’il est obligatoire pour une personne assurée de payer pour avoir accès à un médecin de famille chez Physimed » et a déclaré au Dr. Benhaim qu’il n’y aurait pas de sanction (page 154).

Mais dans l’intervalle, le Collège des médecins avait pris le relais. Le Dr. Benhaim n’était pas tiré d’affaires. « On va bientôt mettre sur pied un comité pour s’occuper des médecins comme vous, parce qu’au Collège, on n’aime pas les médecins qui font de l’argent » a déclaré au Dr. Benhaim le Dr. François Gauthier, syndic du Collège, en décembre 2011 (page 100). Effectivement, la suite n’a pas été édifiante. Parce que sa clinique a refusé de remettre un document qui n’est pas du ressort du Collège et qui n’a rien à avoir avec la qualité de la pratique médicale, soit la facture qui obsédait la RAMQ, le Dr. Benhaim a été radié à vie par son ordre professionnel. Après moult péripéties.

Le livre signale que, étrangement, l’enquêtrice de la RAMQ a trouvé ses ordres de marche sur son bureau, tôt le matin… du 30 juillet 2010, jour même de la publication de l’article dans La Presse. Dr. Benhaim suppute que la Régie avait été informée à l’avance de la publication, et qu’elle en était peut-être même l’instigatrice (page 97). Le livre signale qu’en quatre ans « d’enquête », jamais la RAMQ n’a rencontré Mme Nicoud, dont l’article « dévastateur » avait pourtant mis le feu aux poudres, puisque c’était elle qui avait posé sur la place publique qu’il fallait payer pour avoir accès à un médecin. Même chose au Collège, qui n’a pas jugé utile de contacter la journaliste pour en savoir plus (page 191).

L’article du 30 juillet commençait ainsi : « En pleine pénurie de médecins de famille, des cliniques privées offrent à des patients les services d’un médecin moyennant quelques centaines de dollars. Cette pratique, critiquée par le Collège des médecins, fait actuellement l’objet d’une enquête de la RAMQ ».

La Presse et sa journaliste ont-elles été instrumentalisées ? Faut-il craindre que les médias se fassent les complices des institutions qu’ils sont censés surveiller ? Les explications de la journaliste, relatées dans l’ouvrage, ne sont en tout cas pas très claires, et sont même à certains égards contradictoires. En 2016, au Dr. Benhaim, elle laissera entendre qu’elle s’était retrouvée chez Physimed par hasard, à la recherche d’un médecin de famille (mais loin d’où elle habite, selon le livre). Quelques semaines plus tôt, dans une autre conversation, elle lui avait cependant dit que « certaines personnes » l’avaient dirigée vers cette clinique. Six ans après les faits, selon le livre, Mme Nicoud reconnaissait en tout cas qu’elle s’était « peut-être trompée », qu’elle avait « peut-être mal compris » (pages 192-195).

La Presse, sauf erreur, n’a pas évoqué la parution du livre du Dr. Benhaim. Le 28 octobre dernier, elle publiait une entrevue avec le nouveau président du Collège des médecins, le Dr. Mauril Gaudreault [3]. Le texte ne contient pas un mot sur l’histoire du Dr. Benhaim. Bien que certains chroniqueurs de La Presse écrivent régulièrement sur les enjeux liés au système de santé, aucun, sauf erreur, n’a jugé bon de parler de cette histoire. J’ai demandé en vain à La Presse si elle entendait publier un rectificatif et si selon elle il y avait des anomalies ou des erreurs dans le livre.

Je vous invite à me suivre sur twitter @wapizagonke.

© Michel Lemay, 2018

[1]BENHAIM, Albert, avec la collaboration de Serge Rivest. L’Exécution, le combat d’un médecin contre le harcèlement moral et institutionnel. Éditions de l’Homme, 2018.

[2]NICOUD, Anabelle. Un médecin de famille… pour 340 $. La Presse, 30 juillet 2010.

[3]TOUZIN, Caroline. Le nouveau président du collège des médecins veut «retrouver l’estime du public». La Presse, 28 octobre 2018.