La commission de l’inculture

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Les patrons des médias ont dû festoyer à l’issue des audiences de la commission parlementaire sur les médias. Je les imagine morts de rire, après avoir vu les syndicats monter à leur défense, compatissant à leur sort, bien enroulés dans l’étendard du droit du public à l’information. Les sujets que tous, à commencer par le gouvernement, voulaient éviter ont effectivement été noyés dans les clichés et la pusillanimité. Il faut dire qu’à écouter les élus, on s’est vite rendu compte qu’ils étaient totalement largués et qu’il ne fallait pas compter sur eux pour démêler tout ça. La complexité des enjeux leur échappait complètement, ils n’étaient aucunement préparés. Toutes les questions glissantes ont été évitées, et ce ne fut pas bien compliqué. Nous venons collectivement de brûler une belle occasion de faire le tour du jardin de l’information.

Que voulez-vous, il n’y a aucun problème sur le front de l’information. Nous sommes devant un simple problème de revenus, rien d’autre. Pourtant, les médias, ces temps-ci, nous sollicitent au nom « du journalisme de qualité ». J’imagine que c’est parce qu’il en existe un autre.

Au président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, une organisation qui dit défendre l’information et sa qualité, les élus auraient pu poser deux questions : quels dispositifs la FPJQ a-t-elle mis en place pour s’assurer que son guide de déontologie est respecté, et qu’arrive-t-il si un journaliste y déroge ? Les réponses sont fort simples : aucun et rien. La confiance du public est au plancher, comme je le signalais dans mon texte précédent. La députée Catherine Dorion s’est dite « mal à l’aise » de faire allusion à ce sujet apparemment tabou lorsqu’elle a, en mettant deux paires de gants blancs, demandé au président de la FPJQ s’il ne pensait pas que les journalistes avaient une responsabilité à ce titre. Excellente question ! Mais pourquoi fallait-il éprouver un malaise ? Bel exemple de la pusillanimité qui a teinté l’ensemble des audiences. M. Giroux n’a évidemment pas répondu, il a vite botté en touche. Et la députée a abandonné le terrain tout aussi rapidement. Le poisson n’a pas été bien difficile à noyer.

Bref, comme prévu, il a été essentiellement question d’argent. Il faut taxer les GAFA, ce fut le grand leitmotiv de ces cinq jours. Nous l’a-t-on assez répété, d’ailleurs, au cours d’échanges qui tournaient en rond et qui par moments faisaient comptes d’apothicaire. Et même d’apprentis apothicaires. Combien ça coûte un quart de page dans Beauce-Sud ? La taxe sur les GAFA, si jamais elle est implantée (bonne chance !) va non seulement régler les problèmes des médias, mais aussi, manifestement, arrêter la fonte du Groenland, mettre fin à la guerre au Yémen et guérir le cancer.

Autre poisson mort au fond du lac avec un bloc de ciment attaché au cou, la question du Conseil de presse. C’est quand même incroyable : pas un seul de nos représentants élus n’a eu le courage et la décence de demander à Pierre-Karl Péladeau pourquoi son entreprise s’en prenait au Conseil de presse, une institution démocratique dont la mission est essentielle.

Mais j’y pense… sont-ils seulement au courant?

Raymond Corriveau, un ancien président du CPQ, écrivait dans La Presse, le 30 août, que cette institution était asservie aux médias[1]. En audience, la professeure Dominique Payette a qualifié le Conseil de « quasi-moribond ». Et son collègue Marc-François Bernier a parlé du besoin d’une réforme en profondeur. Réaction des élus ? Regards interloqués et changement de sujet à la vitesse grand V.

Le thème du Conseil de presse, une passerelle susceptible de nous amener vers d’autres sujets importants, et donc central à plusieurs égards, n’a jamais, en cinq jours, été abordé de manière substantielle. Il a été soigneusement évité. Lorsque Brian Myles, du Devoir, a mentionné, l’air de ne pas y toucher, que l’aide gouvernementale à venir ne devrait pas être liée à une obligation d’être membre du Conseil de presse, personne chez les élus n’a pris cette intrigante balle au bond. On aurait pu, au strict minimum, lui demander d’expliquer sa position. Non. Silence radio. Tous aux abris.

Dans ce festival de l’inculture, quelques experts — Marc-François Bernier, Dominique Payette, Christian Désîlets — ont vaillamment tenté d’élever le débat, ramant en pure perte. Ils auraient pu s’exprimer en ourdou que ce n’aurait pas été moins clair pour les élus. Et je note que leurs interventions avaient été stratégiquement placées dans les deux derniers jours, après que les principaux joueurs aient défilé à Québec, de sorte à s’assurer qu’elles n’aient aucune influence sur la teneur des échanges qui auraient pu être les plus vigoureux. Bien joué!

Les thèmes de l’éthique, de la déontologie, de l’autorégulation, du contrat social et de la responsabilité de la presse étaient manifestement trop complexes pour des députés qui tombaient des nues à tout propos. Il semble bien que les principes, les institutions et le fonctionnement de l’écosystème de l’information leur sont un mystère complet. Ce qui a facilité la vie de tous ceux qui s’efforçaient qu’on ne parle pas de ces choses.

Marie-Ève Martel,  journaliste et auteure, la première intervenante à présenter son mémoire, a évoqué dans son allocution la nécessité d’éduquer les élus en matière de médias. C’est peu dire qu’elle a mis dans le mille, mais on reste néanmoins pantois devant l’impréparation des membres de la commission. On les a entendus par exemple se demander si les chroniqueurs sont des journalistes. Ce qui laisse entendre qu’en six mois ils n’ont pas trouvé le temps de lire la documentation du Conseil de presse et de la FPJQ, puisque cette question est réglée depuis longtemps. L’un d’eux, à la recherche de solutions, a suggéré qu’on place Illico et tou.tv sous l’égide de Télé-Québec, un autre trouve qu’il nous faudrait plus d’émissions comme La Petite Séduction —comprenne qui pourra.

Les élus étaient très soucieux de se rendre sympathiques. Ils flattaient les uns et les autres. Ils jouaient à Josélito Michaud s’entretient avec Francis Reddy. Ils nous confiaient qu’ils avaient des « frissons », qu’ils étaient « en ébullition » tellement les présentations étaient « chouettes » et « super intéressantes », qu’ils « adoraient » ce qu’on leur racontait. Il faut dire qu’il en allait de même du côté des médias et des syndicats, qui louchaient vers la cagnotte et voyaient bien qu’il ne fallait pas que le vent tourne. La messe était dite. Tout le monde avait le même carnet de chant.

Le supposé accrochage entre la députée Catherine Dorion et M. Péladeau a fait couler un peu d’encre, mais il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. J’ai pour ma part été plus intrigué par les allusions à « la rémunération au clic » qui serait en place chez Québecor, et peut-être ailleurs. Voilà un sujet plutôt croustillant, auquel on a coupé court, le président d’assemblée concluant la séance juste comme ça devenait intéressant. Les journalistes, qui comme chacun sait sont indépendants, auraient donc accepté un système de rémunération ouvertement conçu pour faire pencher le système du côté des annonceurs. Captivant, non, de voir comment le concept d’indépendance peut s’avérer élastique?

Au député Samuel Poulin, de la CAQ, Michel C. Auger, à Radio-Canada, a demandé quelle était la première chose à faire. M. Poulin a expliqué qu’il fallait travailler sur les agences de publicité. Il faut notamment leur faire comprendre l’impact et la pénétration des médias régionaux. M. Poulin est par ailleurs convaincu que l’indépendance des journalistes est totale. Ils ne subissent aucune pression, de quelque nature que ce soit. Je présume que M. Poulin n’a pas été dans les scouts. Il saurait qu’on peut se perdre facilement si l’on s’aventure en forêt sans carte et sans boussole.

Si vous n’avez pas eu le temps de suivre les travaux, je vous résume tout ça: on va taxer les GAFA (ne retenez pas votre souffle, ce ne sera pas si simple) et redistribuer l’argent sous forme de crédits d’impôt sur la masse salariale. Et bien sûr, le tout assorti d’un classique bien de chez nous : on va faire pression sur le fédéral!

L’information ? Mais… on est devant une crise de revenus, vous n’avez pas encore compris?

Stéphane Giroux, de la FPJQ, et Bernard Descôteaux, du Centre d’études sur les médias, l’ont tous les deux signalé : les journalistes travaillent pour le public. C’est le public qui est le patron. Effectivement, le journalisme n’appartient pas aux journalistes. Question à méditer, si cette commission — qui ne passera pas à l’histoire — débouche sur la formation d’un « comité indépendant » : celui-ci sera-t-il indépendant comme celui que nous avons eu à Ottawa, qui était formé de journalistes, d’anciens journalistes, de syndicats de journalistes et de patrons de journalistes ?

© Michel Lemay

[1]Crise des médias : L’importance de repartir du bon pied. La Presse, 30 août 2019.