Commission parlementaire sur les médias: show de boucane?

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Le 30 novembre 2018, la Ministre de la culture et des communications annonçait une commission parlementaire « sur l’avenir de l’information au Québec ». « Nous avons décidé d’agir afin d’obtenir une vision d’ensemble de la réalité de l’information partout au Québec et pour trouver, en collaboration avec les divers intervenants du milieu, les solutions pour faire face aux profondes transformations que vit ce secteur » nous disait-on. C’était prometteur, mais la commission, qui amorce ses audiences aujourd’hui, embrassera moins large que promis. Sans tambours ni trompettes, son mandat a été modifié en cours de route. Elle s’appelle maintenant la commission sur l’avenir des médias. Elle va se limiter à examiner le financement des entreprises, la viabilité de leurs modèles d’affaires, leur « indépendance » et leur présence régionale. La « vision d’ensemble » que le gouvernement estimait nécessaire à l’automne n’est plus à l’ordre du jour. C’est d’argent qu’on va parler avant tout, pas d’information. On a pu constater la hauteur que prendra la conversation lorsque la CSN, jamais à court d’idées lorsqu’il s’agit de siphonner quelqu’un au bénéfice de ses membres, a vu le salut dans une taxe sur les téléphones.

La démocratie est tributaire de citoyens bien informés, capables de prendre des décisions éclairées et rationnelles. Il nous faut des médias bien financés, oui, mais au premier chef des médias qui honorent leurs responsabilités en matière d’information et qui reconnaissent que c’est au public que les journalistes doivent allégeance, et non aux annonceurs, ni aux propriétaires.

Questions de fond : la presse remplit-elle sa mission à la satisfaction de la société civile ? Et si non, pourquoi ? Deux questions qui n’intéresseront pas, semble-t-il, les élus.

La confiance du public envers les médias d’information est faible — environ 50 % présentement au Canada. Depuis longtemps, et partout, on constate un doute persistant quant à la véracité de l’information. En outre, quelque 70 % des gens estiment que les médias ne s’intéressent pas aux bons sujets, 80 % n’aiment pas le ton des nouvelles, 50 % pensent que la presse n’assume pas correctement son rôle de chien de garde, 40 % trouvent que les médias ne les aident pas vraiment à comprendre ce qui se passe[1]. On peut mieux faire, me semble-t-il.

On peut se consoler en se disant que c’est pire ailleurs. En France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, trois pays en crise sur les plans social et politique, la situation est catastrophique: la confiance est à 24 %, 40 % et 32 %[2]. Mais ces chiffres sont surtout effrayants. Ils nous montrent jusqu’à quel point les conditions nécessaires à la vitalité de la démocratie peuvent se dégrader si on laisse aller les choses. Marty Baron, patron du Washington Post, déclarait en 2016 : « No question: trust is our greatest challenge… We are constantly worried about resources, social media, monetization and all these kinds of things. All of those pale in comparison with this particular challenge »[3]. Ce défi, malheureusement, n’est pas sur l’écran radar de la commission parlementaire qui commence.

La diminution de la confiance a commencé il y a 30 ou 40 ans. Elle n’est pas attribuable à internet, ni à la soi-disant réduction de l’effectif journalistique, mais à une foule de phénomènes insidieux : culture de l’approximation, manque de rigueur, biais réel ou perçu, nouvelles bidon, refus de reconnaître les erreurs et de les corriger, absence d’imputabilité, sensationnalisme, démarcation de plus en plus floue entre information et publicité. Les professionnels de l’information devraient prendre acte. Puisqu’ils sont « indépendants », ils nous le répètent assez ces temps-ci, les journalistes ne devraient pas attendre que l’actionnaire bouge, ça ne semble pas sur le point d’arriver. Si ni le gouvernement, ni les médias, ni les journalistes ne se penchent sur ces enjeux, qui le fera ?

Avez-vous déjà entendu parler de branded content et de publicité native? En deux mots, c’est assez simple, il s’agit de publicité déguisée en nouvelles. Parce que la publicité ordinaire marche moins bien, on demande à des journalistes, des gens très indépendants, et qui travaillent dans des médias très indépendants, de rédiger des contenus d’un très grand intérêt public. Qui sont en fait des contenus promotionnels, mis au point selon les desiderata d’annonceurs. Comme si les sources de confusion n’étaient déjà pas assez nombreuses. Comme si l’environnement informationnel n’était déjà pas assez complexe. Ce serait bien, au moment de faire pleuvoir les crédits d’impôts, de mesurer l’ampleur du phénomène et de convenir de son encadrement. Et d’en savoir plus sur les ententes qui sont derrière toutes les « plogues » plus ou moins bien endimanchées qu’on voit dans les médias. Question : si les crédits d’impôt sont calculés sur la masse salariale, les médias vont-ils engager davantage de rédacteurs publicitaires et nous faire avaler leurs oeuvres comme si c’était du journalisme ? Va-t-on subventionner, en somme, les annonceurs ?

Mais les sujets les plus importants, qui transcendent tous les autres, et dont il semble bien qu’ils seront soigneusement évités cette semaine, c’est celui du rapport entre les médias et le public, et celui, subsidiaire, de la responsabilité des médias en matière de qualité de l’information. À l’heure où les médias crient à l’aide, et alors que les gouvernements donnent des signes qu’ils vont mettre les contribuables à contribution d’une manière ou d’une autre, nous avions une occasion exceptionnelle de discuter du contrat social qui fait en sorte qu’en échange de sa liberté et de ses prérogatives, la presse a accepté des obligations.Ce contrat social, dont certains ne reconnaissent même pas l’existence, n’est pas adéquatement honoré pour des raisons qui n’ont que très  peu à voir avec la précarité économique des entreprises de presse. Le problème est visible pour quiconque veut bien s’y attarder, mais il n’est pratiquement jamais débattu sur la place publique.

Au Québec, cette dynamique est incarnée entre autres par le Conseil de presse, une institution démocratique dont la mission est vitale. Or, le Conseil, lui aussi, est en crise. Parce que son indépendance n’est manifestement que théorique, que son financement et ses pouvoirs sont insuffisants. Certains médias le méprisent ouvertement, sans en subir la moindre conséquence et sans s’émouvoir, semble-t-il, du fait que ce mépris suppose un égal mépris à l’égard du public. D’autres médias le tolèrent tout juste et s’assurent qu’il marche droit en gardant le doigt sur sa jugulaire. Québecor, une puissante entreprise médiatique, conteste la juridiction du Conseil de presse et met son avenir en péril en le poursuivant pour 200 000 $. Le gouvernement, les autres médias, les chroniqueurs, la FPJQ assistent à ce pitoyable spectacle sans mot dire, ou presque. Tout indique que la question du rôle et de l’avenir du Conseil de presse sera, elle aussi, évitée cette semaine. Même chose pour la loi sur la presse, complètement obsolète, un sujet que j’ose à peine évoquer ici tellement il semblera bizarre à certains lecteurs. Je ne serais pas surpris que les membres de la commission parlementaire ne connaissent même pas l’existence de cette loi.

La déconfiture du Groupe Capitales Médias arrive à point nommé pour tous ceux qui souhaitent qu’on ne parle pas trop d’information. Elle aide à centrer le débat sur l’argent. Va-t-on réellement envisager de faire passer six quotidiens régionaux importants dans le giron d’une entreprise qui refuse l’autorité du Conseil de presse et semble vouloir acculer celui-ci, qui est financé par la presse et par l’État, à la faillite ? Pourquoi les autres entreprises de presse ne réagissent-elles pas ? Souhaitent-elles secrètement la disparition du Conseil ? Si c’est le cas, ne faudrait-il pas qu’elles le disent ?

Lors d’une entrevue à Midi-Info, à Radio-Canada, M. Péladeau, PDG de Quebecor, n’a pas prononcé une seule fois les mots « démocratie » et « journaliste ». Lorsqu’il décrit son « industrie », il parle de rotatives, de camelots, de commerciaux, de camions et de photographes. Il parle aussi d’économies d’échelle. Qui sont incontournables, dit-il. J’imagine que ça suppose, si Québecor devait mettre la main sur Capitales Médias, que les citoyens de Chicoutimi se feront expliquer que les mosquées de Montréal exigent l’absence de femmes sur les chantiers de construction.

Les médias et les journalistes n’ont jamais été très friands de ces concepts que sont le jugement des pairs, la reddition de comptes, la responsabilité sociale. L’autorégulation, c’est très bien, tant que ça reste optionnel, théorique et sans conséquences, bref une vue de l’esprit. En France, on s’apprête de mauvaise grâce à mettre sur pied un Conseil de presse, après en avoir parlé pendant des années. Ce n’est pas exactement la fête au village. Je demandais en mai dernier à Louis Dreyfus, président du directoire du Monde, ce qu’il pensait de la chose. Il n’en voit pas l’utilité, m’a-t-il répondu. On sentait son enthousiasme.

Peu importe la forme que prendra l’aide gouvernementale, des conditions devraient être imposées aux médias qui y auront accès. J’en vois au moins une qui coule de source : être membre du Conseil de presse, accepter formellement son autorité et prendre les engagements déontologiques que cela suppose. Pour ce qui est de Capitales Médias, l’abandon par Québecor de sa poursuite à l’endroit du Conseil et son retour au sein de cette institution devraient être des préalables à toute discussion.

Il faut déplorer, quant à cette commission parlementaire, l’adoption d’une perspective étroite qui dénote un manque de vision ou de courage. On cherche comment remplacer une source de fonds par une autre, à perpétuer un modèle de fonctionnement dans lequel le citoyen n’a jamais eu le respect qu’il mérite. L’occasion était pourtant belle, puisque le gouvernement a présentement le gros bout du bâton. Les étoiles étaient alignées pour un véritable débat social au sujet de l’information, voire pour des réformes. Il faut craindre que nous aurons plutôt des crédits d’impôt et un show de boucane pour les faire passer. Tant mieux si je me trompe.

© Michel Lemay

[1]Reuters Institute Digital News Report 2019.

[2]Reuters Institute Digital News Report 2019.

[3]https://blog.wan-ifra.org/2016/03/11/marty-baron-loss-of-public-trust-is-journalisms-greatest-challenge