Absolution pour une fausse nouvelle

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Étrange décision[1] que celle rendue publique par le Conseil de presse du Québec il y a quelques jours, qui a « absous » la publication d’information fausse et me semble ouvrir une brèche dans un standard professionnel universellement accepté, que personne, à ma connaissance, ne conteste. Le principe d’exactitude, mis en avant par tous les codes de déontologie, et qui joue un rôle central dans l’idéal de rigueur, est mis à mal par cette décision malencontreuse. Pourra-t-on désormais tourner les coins ronds et s’en tirer en qualifiant l’information inexacte de « secondaire » ?

En mars 2016, un journaliste de TVA-LCN, évoquant un vol d’armes à feu survenu au Texas, a terminé son reportage en affirmant, erronément, « qu’au Texas les armes sont privées [sic] puisqu’on peut les porter dans les endroits publics, n’importe où, n’importe comment, par n’importe qui [sic] ».

Le comité des plaintes du Conseil a aisément constaté que cette information était fausse. Il dit dans sa décision : « Selon le Texas Department of Public Safety, il est notamment interdit de porter une arme, cachée ou à découvert, dans les bars, les centres de soins de santé, les lieux de culte, les lieux d’événements sportifs professionnels, les pénitenciers, etc… De plus, il faut un permis pour avoir le droit de porter une arme de poing en public… Enfin, la façon de porter une arme en public est également réglementée. » Donc, ce n’est pas n’importe qui, ce n’est pas n’importe où, et ce n’est pas n’importe comment. Les faits communiqués au public étaient objectivement faux. L’affaire n’était pas complexe, pas besoin d’un commando de jésuites pour la trancher.

Pourtant, placé devant un cas aussi patent, le comité a été incapable de rendre un verdict unanime. Le grief d’inexactitude a été retenu, mais à la majorité de 6 sur 7. On ne sait pas qui n’a pas joint les rangs de la majorité (les journalistes et représentants des entreprises de presse étaient Audrey Gauthier, Philippe Teisceira-Lessard, Jed Kahane et Raymond Tardif.[2] Le dissident a estimé que la fausseté était mineure « et que bien que le journaliste aurait pu être plus précis, l’on comprend de son commentaire que les lois texanes sont plus permissives en comparaison des lois québécoises ». Selon cette logique, il serait donc acceptable de faire dans l’impressionnisme et l’approximation, voire d’ajouter des détails complètement faux, pourvu qu’il ne soit pas déraisonnable de présumer et d’espérer que le public va comprendre en gros la bonne chose. C’est une approche qui entre en collision frontale avec l’économie générale, les fondements et la déontologie du journalisme.

Mais il y a bien pire. Jusque là, à tout le moins, ce dont je m’étonne ici se résumait à l’expression d’une opinion minoritaire. Le comité, cependant, tout en retenant la plainte et en convenant que l’information était inexacte, a choisi « d’absoudre » formellement le journaliste et l’entreprise de presse, « considérant que le commentaire du journaliste constituait un point secondaire de son intervention ».

Là, je suis scié. Consacre-t-on ici, par la porte de derrière, l’existence d’un double standard qui voudrait que seule l’information dite importante doit être exacte, et qu’on doit tolérer l’information fausse pourvu que quelqu’un décrète qu’elle est « secondaire » ? À ma connaissance, la formalisation d’un tel double standard constituerait une première mondiale. Je ne suis au fait d’aucun code de déontologie journalistique établissant une telle distinction entre information majeure et information mineure. Au contraire, tous insistent, implicitement ou explicitement, pour dire que les journalistes doivent s’efforcer de faire en sorte que l’information, toute l’information, soit exacte. Pour dire aussi que si elle ne l’a pas été, elle doit être corrigée.[3] C’est ce qui explique, par exemple, que le Globe and Mail ait publié des rectificatifs comme les suivants :

  • Beau Brummel, who was widely credited for introducing the modern suit and tie, was a gentleman in Regency England in the early 1800s. A column published Saturday incorrectly put the date as 1770. (22 janvier 2013)
  •  The late Toronto developer Murray Menkes received a kidney transplant at the Mayo clinic in Rochester, Minn. An obituary article on Friday incorrectly referred to Rochester, N.Y. (25 mai 2013)
  •  A Wednesday news story on gene-editing included an incorrect age for Laval University microbiologist Sylvain Moineau who was presented with the John C. Polanyi Award. He is 51, not 53 as published. (9 février 2017)

Mises au point on ne peut plus mineures, n’est-ce pas ? En corrigeant, le Globe and Mail envoie un appel à la rigueur à sa salle de nouvelles. Il rappelle à ses journalistes que l’exactitude n’est ni négociable, ni à géométrie variable. Il tente aussi de convaincre ses lecteurs qu’ils peuvent se fier à ce qu’ils lisent dans le journal, que le matériel est passé au peigne très fin. On place ainsi la barre très haut, parce qu’on sait que l’approximation est une pente savonneuse, et qu’il ne faut pas laisser cette porte s’ouvrir. Une porte, d’ailleurs, que les autorités de médiation et les associations professionnelles tiennent fermée à double tour. Pourquoi faudrait-il l’entrebailler ?

L’Association canadienne des journalistes dit : « We are disciplined in our efforts to verify all facts. Accuracy is the moral imperative of journalists and news organizations… » En l’occurrence, l’impératif moral en prend pour son rhume. Et on vient de refroidir considérablement les ardeurs des futurs plaignants, qu’il s’agisse pour eux de faire appel au Conseil ou de demander des rectificatifs aux médias. Pourquoi signaler des problèmes, sachant que c’est déjà la croix et la bannière, si en plus le média peut maintenant formellement jouer la carte de « l’information mineure » pour s’en tirer ? Et quel message vient-on d’envoyer ici aux jeunes journalistes et aux étudiants ?

Dans le passé, « l’absolution » a été surtout mise enjeu dans les cas où le média avait rapidement admis et corrigé son erreur, avant que le Conseil s’en mêle. J’estime, c’est mon opinion, qu’elle constitue ici une erreur.

Cette décision nous arrive peu après l’affaire Maclean’s/Andrew Potter, une coïncidence
qui m’inspire la réflexion additionnelle suivante. Est-ce que les affirmations du journaliste, dans le cas qui nous occupe, étaient vraiment mineures ou secondaires ? Qu’est-ce qu’une information secondaire ? Ne sommes-nous pas, avec cette affaire texane, devant un bon exemple des discussions interminables qui nous menacent, advenant qu’on consacre l’existence d’un double standard ?

Tout comme Potter, le journaliste de TVA-LCN a de manière intempestive laissé ses idées reçues prendre le dessus, livrant au public une image stéréotypée (les « cow-boys » du Texas) et peu flatteuse, image qui aura été interprétée de manière confirmatoire par tous ceux qui entretiennent des idées analogues.

Nous avons déchiré notre chemise devant le texte d’Andrew Potter, une affaire que la chroniqueuse Chantal Hébert a bien résumé en parlant de journalisme de pacotille.[4] Mais ce qui serait scandaleux et constituerait du journalisme de pacotille quand il est question du Québec nous serait-il parfaitement acceptable quand il est question du Texas ? Il serait ainsi permis, lorsque ce sont « les autres » qui sont visés, de faire dans l’approximatif et le cliché, mais s’il est question de nous, il faudrait que chaque détail soit rigoureusement exact, sinon la Terre devrait arrêter de tourner ? Il serait permis, lorsque la nouvelle « vient de loin », de passer outre aux recherches et aux vérifications, de s’en tenir au folklore, de travailler à la hache, mais « les autres », s’ils parlent de nous, devraient travailler à la pince à sourcil ?

Ce qui se passe présentement aux États-Unis, entre autres, nous ouvre les yeux sur les conséquences très graves qui peuvent découler d’une information polluée. L’heure n’est pas à un assouplissement des standards. Au Conseil, maintenant, d’amender cette décision, d’éloigner le ver de la pomme. Ou d’assumer sa position. D’aller jusqu’au bout. De modifier les sections 9, 10 et 27 de son code de déontologie, en y ajoutant le texte en italique ci-dessous :

  •  Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information exacte et fidèle à la réalité, sauf s’il agit d’information jugée secondaire.
  • En général, l’information est exacte, rigoureuse dans son raisonnement, impartiale, équilibrée et complète.
  • S’ils estiment que c’est important, les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement.

Je vous invite à me suivre sur twitter @wapizagonke.

© Michel Lemay, 2017

 

[1] Décision D2016-03-107, rendue le 27 janvier 2017 (le reportage date du 3 mars 2016, la décision a été rendue publique le 23 mars 2017). Mis en cause : Pierre-Olivier Zappa, journaliste; émission Le Québec matin; le groupe TVA-LCN.

[2] Le comité des plaintes était formé de trois représentants du public, de deux journalistes, et de deux représentants des entreprises de presse.

[3] On ne trouve aucun double standard en matière d’exactitude (à savoir que les exigences d’exactitude seraient à géométrie variable selon l’importance estimée de l’information) dans les 17 documents suivants : Déclaration de Principe de la Fédération Internationale des Journalistes (1954-1986); Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971); International Principles of Professional Ethics in Journalism (UNESCO, 1983); Code d’éthique de l’Association canadienne des journalistes; Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec; Code of Ethics of the Society of Professional Journalists (U.S.); Charte d’éthique professionnelle des journalistes (France); National Union of Journalists (R.U.); Principles of Journalism (Project for Excellence in Journalism); Politique d’information de TVA; Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada; Toronto Star Newsroom Policy and Journalistic Standards Guide; New York Times Company Policy on Ethics in Journalism; Editorial Code of conduct of the Globe and Mail; Texas Tribune Code of Ethics; la Presse canadienne (Canadian Press Stylebook); Associated Press (Associated Press Stylebook).

[4] HÉBERT, Chantal. It was shoddy journalism that cost Andrew Potter his job at McGill: Hébert. Toronto Star, 24 mars 2017.